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La remise en question des marques digitales

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Sézane, chez la femme, Bonne Gueule chez l’homme, vous connaissez sûrement ces deux labels français s’imposant comme les fleurons d’une génération d’acteurs du prêt-à-porter qui ont vu le jour sur le net.

DNVB : quatre lettres synonymes d’une réussite nouvelle, dans les années 2010- 2020, pour des sociétés proposant des biens de consommation d’abord via leur site marchand en ligne. On comptait 344 DNVB françaises en 2019 ; en 2022, elles sont désormais 715 – soit une augmentation de +108% en trois ans. 123 nouvelles marques se sont ainsi créées en 2022. Ces « Digital Native Vertical Brands », en établissant une relation directe avec le consommateur, ont imposé un nouveau paradigme commercial et clairement transformé la donne pour les acteurs historiques, en particulier dans le prêt-à-porter.

Adoptées par des jeunes actifs aux revenus conséquents, s’appuyant sur des discours souvent éthiques ou responsables, exploitant en particulier le concept de la précommande pour « ne produire que ce qui est déjà choisi par le consommateur », mais également celui de la co-création avec son consomm’acteur, ces sociétés ont pour beaucoup vu leur activité s’envoler durant les périodes de confinement liées à la lutte contre la pandémie de Covid-19. Mais la période post-crise sanitaire, la guerre en Ukraine, couplées à des évolutions réglementaires du web, sont désormais source de remise en question pour nombre de ces sociétés.

« Grâce à vous, nous avons prouvé qu’il était possible – même en pleine crise du Covid – de développer une marque de mode durable sur le plan environnemental comme financier, ont expliqué à leur communauté en début d’année les fondateurs du label Réuni créé fin 2019 par Alice Bailly et Adrien Garcia. Et pourtant, Réuni va s’arrêter. Du moins, Réuni telle que vous la connaissez. Rassurez-vous, ce n’est pas un arrêt définitif. Car plus que jamais nous avons foi en notre projet et en sa nécessité », ont-ils glissé sur leur site. 

Ces derniers mois, Atelier Particulier a annoncé suspendre son activité, Hopaal et Forlife ont expliqué à leur communauté revoir leur modèle et Adresse cherche un nouveau partenaire financier. Recherche de nouveau modèle, développement de nouveaux axes ou remise en question des objectifs de la marque: ces sociétés, pourtant encore jeunes, doivent faire face à une profonde période de transformation.

Une augmentation du coût d’acquisition client

Des décisions, qui font écho à l’initiative née il y a près d’un an d’un collectif spontané d’une quarantaine de jeunes entreprises, baptisé We are Lucioles. Celles-ci alertaient déjà de l’impact sur leur modèle économique de nouvelles règles de protection des données (RGPD). Ne pouvant plus suivre et cibler aussi précisément qu’auparavant les visiteurs de leurs sites ou de leurs réseaux sociaux, ces acteurs ont vu leur efficacité opérationnelle s’éroder… et leurs coûts d’acquisition-clients s’envoler.
Récemment, une étude du Digital Native Group et de Payplug relevait que pour l’ensemble des DNVB, le coût d’acquisition pour un client était passé de 26 euros en 2021 à plus de 32 euros en 2022 et que celui-ci continue de croître. Dans la mode, le coût d’acquisition d’un client est de près de 28 euros pour un panier moyen annoncé selon l’étude à 137 euros. Face à ces croissances, la très grande majorité des DNVB ont ainsi revu leur stratégie digitale.

Cette augmentation des coûts d’acquisition couplée aux modifications des algorithmes des plateformes de réseaux sociaux ont rendu moins visibles un certain nombre de marques. Et cela a été le premier choc pour ces acteurs qui commençaient à se structurer. Pour nombre d’observateurs aguerris du secteur, une erreur fondamentale s’était nichée dans le modèle d’activité de certains de ces nouveaux acteurs du prêt-à-porter. En effet, en vendant directement au consommateur, ceux-ci opéraient avec de très fines marges et affichaient ainsi un rapport qualité-prix engageant, en renforçant leur propos sur la transparence. Or, dès les premières augmentations de coûts, leur rentabilité s’est trouvée attaquée.

 « Le boom des DNVB dans les années 2010 a insufflé un vent de révolution dans le secteur du commerce. Mais depuis les années 2020, les règles du jeu ont changé : explosion du coût de la publicité digitale, commoditisation de la livraison à domicile, saturation de l’offre. Seuls ceux qui sauront s’y adapter survivront.
Les ingrédients qui ont fait les succès d’hier ne sont pas ceux qui feront les succès de demain. De la distribution 100% digitale à l’omnicanal, de la stratégie marketing centrée sur la publicité Facebook à la création de brand media, du mono-produit à l’offre holistique : le modèle DNVB se réinvente. Bienvenue dans la nouvelle ère du Direct-to-Consumer ! » Vincent Redrado, CEO & fondateur de DNG

Dans le masculin, c’est le concept parisien Adresse, dirigé par Alexandra Mulliez qui, placé en redressement judiciaire, cherche actuellement des partenaires financiers. Sa directrice souligne que l’entreprise, déjà confrontée à un remboursement de PGE, mais aussi d’un crédit d’impôt collection, a dû faire face à l’augmentation des coûts d’acquisition. Face à cette hausse et à l’efficacité en baisse du tracking du client, l’entreprise a testé d’autres leviers. « Nous avons investi plus fort sur l’e-mailing, auprès de notre base, et avons débuté dans l’influence il y a six mois en collaborant avec des personnalités du monde sportif ». La marque a également choisi de réinternaliser l’animation e-commerce à l’automne dernier, auparavant confiée à une agence.

« 10.000 euros par mois en Facebook et Instagram »…Chez Forlife, lancé en 2018 par Lucas et Séverin Bonnichon, qui opèrent par ailleurs de longue date dans le wholesale avec Cuisse de Grenouille, la remise en question a aussi été radicale. « Quand on a créé Forlife, notre objectif c’était de s’appuyer sur des valeurs fortes : pas de surproduction grâce à la précommande, pas de pub et la volonté de travailler le produit en profondeur. Mais on a vu de plus en plus de concurrents arriver et certains arriver en martelant de la pub. En réaction, on a commencé à faire de la pub. Et les coûts d’acquisition ont explosé et en plus il est de plus en plus compliqué d’évaluer quel est le retour sur investissements. Les gens nous voyaient et notre trafic augmentait à chaque publicité. Mais c’est le système de l’enchère, celui qui dépense le plus est le plus visible. C’est sans fin. Cela rapportait du chiffre, mais pas rentable. Nous nous sommes pris dans la frénésie, nous avons multiplié les lancements de produits pour donner de la nouveauté. Et puis on a pris la décision d’arrêter la publicité. Et je reste convaincu que le bouche-à-oreille reste le meilleur levier. »

Une hausse des coûts de fabrication et de matières

Les DNVB françaises, qui avaient pour beaucoup mis sur pied des relations avec des usines et ateliers au Portugal ont vu nombre d’acteurs qui faisaient produire au grand export rechercher des capacités en Europe. Les prix, sous la pression des hausses de prix des matières premières se sont envolés. Adresse précise que cela lui coûtait un point de marge et Forlife donne l’exemple d’un chino dont le coût de production est passé de 36,9 à 45,1 euros hors taxe.

Confronté à ce tableau, le duo fondateur d’Atelier particulier, lancé en 2013 par Fulbert Lecoq et Benjamin Legourd avec l’ambition de démocratiser l’accès à des produits réalisés par des ateliers d’exception, a décidé de mettre en pause leur entreprise. Les entrepreneurs se trouvent confrontés à l’ »effet ciseau » entre une consommation mode en baisse avec l’inflation et leurs coûts qui explosent.

Le marché du moyen de gamme est sous pression et les marques ont l’option d’aller vers le bas de gamme ou de la montée en gamme, constatent-ils. Être une DNVB, n’est visiblement plus un argument. « Pour résumer notre vision, nous pensons que le modèle DNVB est intrinsèquement mort. Ce qui ne signifie pas que les marques qui en sont nées le sont nécessairement. Mais les clés de succès des DNVB sont peu à peu devenues des clés ouvertes à tous. Être DNVB n’est plus un signe distinctif, explique Benjamin Legourd. Donc nous recentrons prochainement Atelier Particulier, sur la même mission de révéler les savoir-faire, et en faisant les choses différemment. »

Que ce soit pour Atelier Particulier, qui veut articuler son activité en redémarrant son approche autour du Club des 1042, emmenant, moyennant un droit d’entrée à ce club de privilégiés, des partenaires et des clients fidèles vers la découverte de produits plus exclusifs ou Réuni, qui promet de : « pousser notre propos à son paroxysme. Être plus radical encore dans notre démarche. Revenir à l’essentiel, à l’essence même de notre projet. Repartir du début. Et revenir au temps long. Créer moins de pièces. Prendre encore plus le temps », plusieurs acteurs se repositionnent. Chez Hopaal, c’est un développement du réseau de multimarques qui est à l’œuvre.

Repenser son modèle d’origine:

L’internationalisation : un accélérateur de croissance.

 En 2022, 56,5% des DNVB françaises avaient un pied à l’étranger – un chiffre en augmentation de 41,3% sur un an. Si la majeure partie des ventes restent réalisées en France (84% du chiffre d’affaires global), les DNVB saisissent l’opportunité de développer leurs marchés internationaux.

L’élargissement des cibles traditionnelles

 L’inflation a eu un impact sur la consommation réalisée auprès des DNVB. Toutefois, les chiffres montrent une plus grande stabilité des dépenses du côté des hommes et des seniors. En effet, le montant des achats réalisés en 2022 par les hommes a peu baissé (-3,1%), alors que la consommation des femmes a été largement impactée (-14,5%). Idem si l’on étudie les transactions par tranche d’âge : le panier moyen des plus de 55 ans dépasse les 100 € et enregistre une baisse moins marquée (inférieure à 20%).

« S’il faisait encore leur succès ces dernières années, le modèle originel des DNVB, à savoir le Direct-to-Consumer, n’est aujourd’hui plus viable seul. Directement exposées à la baisse de la consommation des Français, les DNVB n’ont d’autres choix que de se diversifier pour préserver leur rentabilité. Mais l’ADN principal de la DNVB n’est-il pas l’agilité ? Finalement, ce que l’on constate aujourd’hui, à savoir une capacité de rebond et d’élan vers de nouvelles sources de revenus, est depuis le début au cœur du modèle, et garante de sa résilience. » conclut Antoine Grimaud, CEO et co-fondateur de Payplug.

Etendre son réseau de magasins physiques

À l’instar de Sézane qui vient d’ouvrir un nouveau magasin dans le Marais parisien ou d’Asphalte qui propose un espace éphémère d’un mois rue de Turenne à Paris, la plupart des labels ont compris qu’ils devaient développer d’autres axes que leur e-shop. C’est aussi le cas de Cabaïa ou Unbottled qui continuent d’ouvrir des magasins ou encore Izipizi qui vient d’ouvrir à Londres.

« Les marques qui fonctionnent bien ont un positionnement accessible. Elles ont plus de mal à recruter, mais se tourne vers des relais de croissance, font du wholesale, ont leur propre retail et l’e-commerce pèse 50%, 40%, car les groupes historiques ont aussi pris le pas de la vente directe au consommateur, explique Vincent Redrado. Une partie de leur stratégie doit être orientée vers le retail et le wholesale, mais le digital reste essentiel. La Homepage est la vitrine de la marque, mais les autres pages doivent être pensées pour vendre. Elles doivent travailler pour augmenter leur taux de conversion. Le taux d’Amazon est de 2,8% et les DNVB de l’habillement sont autour de 2%. »

Nous venons de le voir, les chantiers sont multiples: faire grandir le panier moyen, investir dans le mobile, travailler sur le taux de réachat… et multiplier les points de vente physiques.  L’époque du gain de notoriété soudain sur Instagram ou Tiktok semble en partie révolue. Les marques doivent travailler sur le référencement, imaginer des campagnes originales et utiliser de nouveaux arguments.

Du presque tout digital, les DNVB doivent continuer la migration vers l’omnicanal afin de préserver leur rentabilité : passer de Digital Native à omnicanal évolutive.

 

@Credit to Fashion Network & Fevad